Charlie Hebdo: Et après?


Il y a eu le choc, l’émotion, le recueillement et l’union. Et maintenant ? Trois intellectuels nous livrent leur analyse.

« Il n’y a qu’une seule laïcité » 


Elisabeth Badinter, philosophe   

« Il vient de se produire quelque chose d’exceptionnel : le surgissement d’un sentiment d’unité nationale. On pouvait lire, dimanche, sur les visages le contentement d’avoir retrouvé cette union. Certes, on a célébré la fraternité, mais va-t-elle perdurer ? Il y a un énorme travail social à faire, la tâche est immense. La laïcité a été traînée dans la boue ? Il faut donc revenir aux fondamentaux. Il n’y a pas des laïcités ni de laïcité “ouverte”. Il n’en existe qu’une seule.      

En privé, on peut pratiquer sa religion ; en public, c’est le collectif qui l’emporte. Donc la République. Il n’y a aucune raison de porter une kippa ou une tenue islamique à l’extérieur. Il faut faire un effort pour conforter ce qui nous unit et laisser de côté nos différences. Je pense qu’on a été lâche avec un politiquement religieux qui l’emportait sur tout. Il a fallu s’y soumettre, s’agenouiller devant une demande religieuse grandissante. Ce qui est tout à fait contraire à la laïcité. Par une crainte immense de stigmatisation, on a failli.     

Tout a raté à partir de 1989, lorsqu’on a laissé des adolescentes entrer voilées dans un collège de Creil. Si on avait dit non, cela se serait arrêté. Voilà la faiblesse de l’Etat. L’émotion actuelle est très sincère, mais c’est au quotidien qu’il va falloir résister. Il faut sortir du politiquement correct comme le faisait “Charlie Hebdo”. Je souhaite que ce dimanche de manifestations soit la date anniversaire d’une résistance. » 


« Ce qui m’inquiète, c’est l’ignorance des politiques »

Dounia Bouzar*, anthropologue
 
 « J’engage les parents, les proches et les professeurs à contacter le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI), mandaté par le ministère de l’Intérieur, lorsque des signes de rupture apparaissent. Cela nous concerne tous car les prédateurs intégristes s’attaquent d’abord à ceux qui ne connaissent pas l’islam : des familles maghrébines non pratiquantes, des catholiques et énormément d’athées. Les meilleurs agents de prévention, ce sont les parents, qui doivent essayer de détecter le changement de comportement de leur enfant.
 
L’embrigadement d’un jeune ne se voit pas à des signes religieux, mais à des signes de rupture : ne plus fréquenter ses amis, cesser ses activités de loisirs, puis rompre avec l’école. Il faut une vigilance immense. Les méthodes d’embrigadement ont été considérablement affinées, les discours individualisés selon la cible visée – notamment pour les filles à qui on évite de parler de massacres. La création d’un numéro Vert [0 800 005 696, ndlr] au ministère de l’Intérieur, permettant aux familles de recevoir un soutien et de “bloquer” les jeunes à la frontière, a été obtenu grâce à la mobilisation des mères, quelles que soient leurs convictions.

 Les amalgames profitent aux radicaux : ils se font passer pour des musulmans orthodoxes et bénéficient de notre laïcité pour justifier leur pratique sectaire. C’est un comble ! Ce qui m’inquiète profondément, c’est l’ignorance de certains politiques dans leur discours sur l’immigration. Sur les 1 200 jeunes ayant un lien avec le djihad en France, 40 % n’ont rien à voir avec l’islam et l’immigration. Il faut travailler sur l’embrigadement plutôt que pointer l’origine des gens et leur religion. Il faut se poser la question : comment transforme-t-on un enfant en bombe humaine ? »
 
* Directrice du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam.
 
« Il faut une “résilience sociétale” » 

   Boris Cyrulnik, neuropsychiatre
 
« Il y a aujourd’hui deux dangers. D’abord, se taire parce que l’on aurait peur ou parce que l’on ne se sentirait pas concerné. Ce silence serait complice. Ensuite, parler, mais en se vengeant ou en générant une parole anti-Arabes. Un racisme, donc. “Je suis Charlie”, dans son acception collective, c’est refuser une escalade qui ajouterait le crime au crime.
 
Dimanche, on a inventé ensemble un rituel pour garder nos morts en vie. Après ce traumatisme, il va falloir se remettre à vivre, mais en changeant notre manière d’exister : c’est la “résilience sociétale”. Elle n’adviendra que si on évite de régler ses comptes, de rester prisonnier du passé. Que va-t-on faire de cet immense crime ? Il faut transcender cette blessure et cesser les petites misères minables qui, au quotidien, s’expriment dans la haine de son voisin. La France a besoin d’un nouveau contrat social, et ce 11 janvier de solidarité en fait la promesse. Il faut espérer un sursaut républicain, une véritable envie de partage, une appétence pour le vivre-ensemble. »
 
Source: ELLE

 

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