Mes sept jours sur Facebook

Certaines amitiés virtuelles se révèlent de complètes supercheries

7 juin 2016 | Alain Roy - Directeur de la revue «L’Inconvénient» | Actualités en société

Photo: iStock«Que se passerait-il si M. Facebook, dans un nouvel élan de sociabilisation, avait le culot d’envoyer des demandes d’amitié à des individus que je détestais?» se demande Alain Roy.
Je m’étais inscrit sur le réseau social pour des raisons professionnelles, essentiellement afin de promouvoir L’Inconvénient à moindres frais. Sans être misanthrope, je ne tenais pas particulièrement à me faire de nouveaux amis ; le petit nombre de ceux que j’avais (et que j’ai encore pour la plupart) me suffisait. […]

Mais ma réticence ou mon inertie à rejoindre le réseau avait été émoussée par les demandes d’amitié que je recevais depuis quelques mois de la part de connaissances diverses, parfois même de personnes « sérieuses » dont je m’étonnais qu’elles s’y soient retrouvées. Alors que je n’en étais toujours pas, je recevais périodiquement ces demandes à mon adresse courriel, que le tout-puissant Facebook avait dénichée je ne sais où.

Une fois enrôlé, j’ai rapidement constaté son don d’omniscience : sans avoir inscrit le moindre renseignement sur ma page personnelle, je me suis mis à recevoir des messages troublants, qui me demandaient de but en blanc : « Connaissez-vous cette personne ? » Dans plusieurs cas, il s’agissait d’anciens camarades de collège ou d’université avec qui je n’avais eu aucun contact électronique de mon vivant (Internet n’existait pas ou à peine à l’époque). M. Facebook, à qui je n’avais fait aucune confidence sur mon passé, ne pouvait donc savoir — en principe — que j’avais fréquenté tel collège ou telle université.

Par quel moyen avait-il pressenti que j’étais susceptible de connaître telle ou telle personne avec qui je ne partageais qu’un séjour lointain dans une institution d’enseignement ? Je ne m’en serais pas préoccupé s’il m’avait questionné de temps à autre au sujet de parfaits inconnus. Mais non, chaque fois il tombait pile ! M. Facebook me demandait hypocritement si je connaissais telle personne, alors qu’il connaissait pertinemment la réponse. Il savait que je la connaissais.

Ayant fait part de mon étonnement à mes proches, ces derniers m’ont expliqué que Facebook recourait tout simplement à un algorithme de recherche. Fort bien, me suis-je dit, mais en quoi cela rendait-il son omniscience moins inquiétante ? N’était-il pas encore plus anxiogène qu’une satanée machine puisse déduire mes accointances passées ?

Ma paranoïa s’est accrue, deux ou trois jours plus tard, après que je me fus décidé à acquiescer à la demande d’amitié d’une connaissance professionnelle. Je ne pouvais décemment considérer cette personne comme une « amie », je la connaissais à peine et nous n’avions échangé que quelques mots en de rares occasions mondaines, mais c’était la quatrième fois que je recevais une invitation de sa part et il devenait de plus en plus indélicat de ne pas y répondre.

Que penserait cette connaissance si je l’ignorais encore une fois ? Je n’avais d’ailleurs aucune raison de ne pas acquiescer à sa demande. Pour autant que je pouvais en juger, cette personne était sympathique, aucun élément factuel ne me permettait de supposer qu’elle était une psychopathe dont j’aurais dû me méfier. […] J’ai donc acquiescé par politesse à la demande d’amitié de cette connaissance qui n’était pas mon amie. Croyant bien faire, j’étais loin de me douter que je venais de la plonger dans l’embarras.

Quelques heures plus tard, je recevais en effet un courriel de sa part où elle m’écrivait ceci : « Je suis très heureuse d’être votre “amie” sur Facebook en ce matin du 30 août 2013, mais je n’ai jamais demandé à Facebook de vous demander d’être votre amie, non que je ne veuille pas l’être, mais j’aurais tout de même préféré que Facebook ne se mêle pas de mes affaires. »

Pour qu’elle ne s’imagine pas que je tenais à être son ami (ce qui aurait été embarrassant pour nous deux), il m’a paru utile de l’informer que Facebook avait commis cet impair à plusieurs reprises au cours des derniers mois, quitte à créer une nouvelle source d’embarras entre nous, puisque cela revenait à dire que j’avais ignoré toutes ces demandes et que j’y avais cédé sous le motif de la répétition, autrement dit sous la pression d’un chantage affectif qui me mettait en demeure de prouver que j’étais un être socialement réceptif.

On voit toute l’absurdité de la situation : notre mise en relation était une supercherie complète. Combien d’amitiés involontaires M. Facebook avait-il ainsi fabriquées de toutes pièces, ce maniaque de la connexion interpersonnelle, cet entremetteur zélé qui cherchait à «matcher» tout le monde avec tout le monde, mais pourquoi et dans quel but ?

C’est alors que j’ai réalisé le genre de quiproquo catastrophique auquel je risquais de m’exposer en demeurant sur le réseau. Que se passerait-il si M. Facebook, dans un nouvel élan de sociabilisation, avait le culot d’envoyer des demandes d’amitié à des individus que je détestais ? Pris de panique, j’ai aussitôt fermé mon compte, qui n’a été ainsi actif que durant une semaine environ.

Cette anecdote révèle, j’en ai honte, mon incompétence crasse en matière de réseaux sociaux, que je n’ai pas pris le temps d’apprivoiser ni de maîtriser convenablement. Sauf que je ne suis pas certain de le vouloir, ni non plus d’y perdre grand-chose, car mes amis, je préfère les voir de visu avec de la musique et un verre de vin.

Quelque temps après ces événements, j’ai d’ailleurs eu vent que la jeunesse la plus branchée commençait à déserter le réseau social, qu’elle considérait désormais comme un peu trop mainstream, ce qui faisait de moi un pionnier de l’avant-garde anti-facebookienne. C’est l’avantage de ne pas participer à une mode : lorsque celle-ci tombe, on fait partie des premiers à ne pas y adhérer.
 
Source: Le Devoir
 
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1 commentaire:

  1. M. Roy,

    Pour vous dire simplement, que vous n'êtes pas seul dans cette situation. Je comprends parfaitement votre panique car j'ai dû moi-même fermer et revenir plus d'une fois sur Facebook, pour finalement mettre un point final à cette supercherie, comme vous dites.

    Aussi j'aimerais vous dire que j'ai pris la liberté de séparer vos paragraphes afin d'en alléger la lecture. Si vous y voyez un inconvénient, n'hésitez pas à m'aviser.

    Cordialement vôtre,
    May West

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