Tirer un trait sur l’épisode Deneuve

Illustration: Emma/Massot Éditions
La blogueuse et dessinatrice française Emma publie un nouveau livre sur des débats de société et féministes.

La dessinatrice Emma invite les femmes à resserrer les rangs et à revenir à l’essentiel
    
 Son nom vous a peut-être échappé, mais sa bande dessinée sur la « charge mentale » a dû vous marquer le printemps dernier. La dessinatrice et blogueuse française Emma est de passage à Montréal, quelques jours seulement après avoir de nouveau aiguisé ses crayons pour réagir à la lettre cosignée par une centaine de Françaises qui s’attaquaient au mouvement #MoiAussi. Entrevue.

« Oui au harcèlement s’il est mondain. Et pour la solidarité avec les autres femmes, on repassera. » La blogueuse Emma n’a pas mâché ses mots début janvier en dévoilant ses nouveaux croquis, secouée par la tribune publiée dans Le Monde sur la « liberté d’importuner » les femmes. Elle regrette toutefois que cette lettre ait divisé les femmes et occulté le vrai problème du débat.
 
« Le débat n’est plus le même, les femmes s’attaquent entre elles et se divisent au lieu de parler de consentement et de harcèlement, regrette-t-elle. Il faut passer à autre chose, on a donné trop de visibilité [à cette tribune]. »
 
Elle la première, reconnaît-elle. Rencontrée mercredi matin par Le Devoir dans un café du Plateau Mont-Royal, Emma raconte avoir adapté les dessins sur lesquels elle travaillait depuis quelques semaines afin de se coller à l’actualité du jour. Un geste qu’elle regrette désormais, avec du recul.
 
« Les gens se sont focalisés sur cette poignée de femmes qui n’est pas du tout représentative de ce que pensent la majorité des Françaises », explique-t-elle. Entre les commentaires haineux et sexistes sur l’âge, le physique ou la richesse des cosignataires de la lettre, le problème de harcèlement qu’elle dénonçait dans ses dessins a été relégué aux oubliettes.
 
Avec ses nouvelles planches publiées sur son blogue et son compte Facebook, Emma souhaitait surtout expliquer à ces femmes — et à ceux qui les appuient — que la lutte contre le harcèlement et les agressions sexuelles ne doit pas être vue comme une menace aux rapports de séduction. « Ils n’ont juste pas compris ce qu’était un rapport de séduction, dit-elle. Il faut leur clarifier que c’est une question de consentement. On peut aller l’un vers l’autre et s’assurer qu’il y a un intérêt mutuel sans pour autant tomber dans le harcèlement. »
 
Si elle se montre critique envers la lettre signée, entre autres, par l’actrice Catherine Deneuve, elle ne s’étonne pas outre mesure d’une telle sortie médiatique.
 
Dans la foulée de l’affaire Weinstein, qui a entraîné une vague de dénonciations à travers le monde sous les mots-clics #MeToo, #MoiAussi ou encore #BalanceTonPorc, la dessinatrice a constaté que de nombreuses Françaises étaient en réalité incapables de distinguer un acte de harcèlement.
 
« Quelqu’un qui nous suit dans la rue, qui nous parle avec insistance ou nous touche les fesses dans le métro, c’est du harcèlement, donne-t-elle pour exemples. Mais on s’y est tellement habitué que c’est devenu normal pour beaucoup. »
 
 


Un problème de société qui trouve racine dans l’éducation, selon elle, qui diffère que l’on soit une fille ou un garçon. Un sujet qu’elle aborde notamment dans le deuxième tome de sa bande dessinée Un autre regard — en vente depuis début janvier au Québec —, qui explique son passage à Montréal pendant sa tournée médiatique.

 
Si l’agressivité chez les garçons est considérée comme une qualité nécessaire pour devenir un homme, un tel comportement est au contraire réprimé chez les filles, encouragées à rester douces, sous peine de passer pour émotives ou irrationnelles à la moindre colère, explique-t-elle dans ses dessins.
 
Une éducation qui aura un impact à l’âge adulte dans les situations d’irrespect, de provocations, d’agressions physiques ou verbales. « Prendre l’habitude d’étouffer [cette colère] laisse [les femmes] paralysées en situation d’agression, car nous n’avons plus confiance en nos réflexes défensifs », écrit-elle.
 
Pour la blogueuse de 37 ans, il faudrait plutôt encourager les garçons à éprouver et formuler leurs émotions, à travailler leur sensibilité et leur empathie, des caractéristiques plus valorisées chez les filles.
 
« Charge mentale »
 
« Il faut aussi les faire participer aux tâches ménagères », assure-t-elle tout en finissant sa tasse de thé.
 
Elle revient ici sur un autre chapitre de son livre qui évoque la « charge mentale ». C’est cette série de croquis, nommée « Fallait demander ! », qui l’a portée au-devant de la scène médiatique en mai dernier. Emma demeurait jusqu’alors une parfaite inconnue, une ingénieure informaticienne bloguant et dessinant à ses heures perdues pour exprimer ce qu’elle ne pouvait pas dire à haute voix dans son quotidien.
 
Le terme, désormais entré dans le langage courant, décrit ce poids qui repose essentiellement sur les épaules des femmes, censées tout planifier pour organiser la vie familiale et domestique une fois leur journée de travail terminée. « Les femmes doivent penser à tout, alors que les hommes ont tendance à attendre qu’on leur dise quoi faire », a-t-elle remarqué lorsqu’elle est devenue mère.
 
Un sujet qui a trouvé écho tant auprès des femmes que des hommes, qui semblaient avoir besoin d’un dessin pour réaliser l’ampleur de la tâche.
 
Ses coups de crayon simples mais engagés revenant sur des débats de société et féministes lui ont depuis permis de traverser les frontières françaises. Emma est ainsi passée de 40 000 à 250 000 fans sur sa page Facebook en moins d’un an, et le premier tome d’Un autre regard est vendu à travers le monde, traduit en anglais, en allemand, en italien ou encore en japonais.
 
Une popularité « inattendue » qui a encouragé la jeune femme à laisser tomber son emploi pour se consacrer à l’écriture et au militantisme. Un troisième tome est même déjà sur sa planche à dessin.
 
Un autre regard 2
Emma, Massot éditions, 112 pages


Source: Le Devoir

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