Latifa

 
Quand elle entre dans la classe, ils se lèvent. Ils savent qu’elle a perdu son fils, ils savent comment, ils savent par qui il a été tué.

Dominique Jamet
Boulevard Voltaire
 
 Le collège est situé en « zone sensible ». Sur une trentaine d’élèves, une trentaine, noirs ou maghrébins, garçons et filles encore mêlés, quand même, sont musulmans.
Quand elle entre dans la classe, ils se lèvent. Ils savent qu’elle a perdu son fils, ils savent comment, ils savent par qui il a été tué.
Elle n’attirerait pas particulièrement l’attention dans les rues de cette ville de banlieue, elle ne détonne pas dans cet établissement scolaire où les enseignants n’ont pas la même couleur de peau que leurs élèves.
Elle est habillée comme le sont leurs mères. Un foulard épouse les contours de son visage rond, elle leur sourit d’un bon sourire. Elle pourrait être leur mère. Elle est leur mère.
Elle leur demande : « Est-ce que vous vous sentez français ? » « Non, madame ». Elle dit : « Si, vous êtes français. »
Elle demande : « Comment avez-vous réagi à la mort des journalistes deCharlie ? » Ils disent : « Ah, madame, ils l’avaient bien cherché, ils avaient caricaturé le Prophète ». Elle dit, très doucement : « On n’a pas le droit de tuer des gens parce qu’ils ont fait des dessins. C’était leur travail. C’étaient des êtres humains. »
Ils disent : « Nous sommes les oubliés de la République. On est enfermés comme des rats. Et les rats, quand ils sont enfermés, deviennent enragés. On ne peut pas s’en sortir. » Elle dit : « Vous n’êtes pas les oubliés de la République. Vous avez la chance de fréquenter les écoles de la République. Vous voulez vous en sortir ? Travaillez, vous réussirez. Saisissez votre chance. Elle est entre vos mains. »
Elle dit : « Je suis française. Je suis d’origine marocaine. Je suis de religion musulmane. Mais je suis d’abord française. »
Ce jour-là, comme presque tous les jours depuis trois ans qu’elle fait le tour des écoles, des lycées et des collèges de France, elle a eu en face d’elle des enfants et des adolescents attentifs, mais d’abord méfiants, fermés, sceptiques. Elle les quitte souriants, détendus, réconciliés avec eux-mêmes, avec leur vie, avec leur sort. «  Elle nous a remis sur le droit chemin », murmure l’un d’eux. Il s’était inquiété tout à l’heure de savoir si ça ne lui ferait pas du tort de s’appeler, de son vrai nom, Coulibaly.
Avant qu’elle parte, ils lui ont ménagé une bonne surprise. Spontanément, ils entonnent une maladroite et touchante « Marseillaise ».
Elle s’appelle Latifa Ibn Ziaten. Son fils Imad était soldat dans l’armée française, et fier de l’être. Il est tombé, le 11 mars 2012, sous les balles de Mohammed Merah.


 


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