Une chronique que j'aurais aimé écrire moi-même


Josée Blanchette,
   Le Devoir,

Ça fait un long moment que je me tâte ; j’ai reçu Le Code Québec il y a plus d’un mois (le livre était sous embargo) et l’ai dévoré même si je sais que la statistique est une pute et les sondages, un miroir grossissant qui ne fait pas dans la dentelle.
 
Le livre venait justement avec un petit miroir de poche dans lequel je ne me suis pas reconnue : qui est cette Nippone blonde aux traits tirés et pas encore botoxée ?
 
Si je me réfère aux événements populaires consensuels des dernières semaines, du genre me pâmer sur Céline ou regarder les Gémeaux : dans un cas, j’ai visionné Jaws 2 avec mon B et dans l’autre, je pense que je me tirais une ligne de curcuma entre deux shooters de jus vert en pratiquant la cohérence cardiaque pour être au diapason avec le milieu artistique.
 
J’ai mon passeport canadien, je suis né-native de père en fille, du goémon dans le toupet, un peu Gaspésienne dans le sang, pourtant, y a pas plus créole que moi côté fun. J’en parlais avec un chauffeur de taxi haïtien ; eux, ils savent encore comment swigner la baquaise désormais bien tranquille dans le fond des bois au Québec. Chez les Haïtiens, on danse le meringue collé-collé et même un peu cochon. Entécas, je suis un tantinet noire malgré le Blanchette. Comme Dany Laferrière, je dois être une écrivaine japonaise.
 
L’économiste et sondeur Jean-Marc Léger nous offre un ouvrage accessible, rapidement devenu un best-seller. Il en sait assez sur nous pour être capable de nous vendre un essai qui nous accrochera en parlant… de nous. Il le fait de façon distrayante et chiffrée.
 
On se compare au ROC (rest of Canada) sur tous les sujets et cela semble être l’étalon de notre identité. Même si j’y suis définie comme une Française modeste, une Anglaise enjouée et une Américaine pacifique, je ne me suis pas reconnue dans le consensus moutonnier dont nous sommes affligés par instinct de survie depuis les débuts de la colonie.
 
Dans un grand village où tout le monde est à deux poignées de main de partager le même ancêtre, on évite de se mettre les autres à dos et de susciter les commérages. Comme me le soulignait une journaliste française cette semaine, on ne peut pas avoir d’amant au Québec, on se connaît tous. Je suis nippone, je m’en fous un peu.
 
Joblo et André-Jacques, momentanément unis par les liens de la ceinture fléchée tissée par Madeleine Morin, fille de l’inventeur de la soupe aux pois Habitant. «Y a un peu de nous autres là-dedans.»
 
No pig on my deck
 
Grosse semaine de people et d’ego bien portants, tous Québécois blancs francophones. J’ai croisé le candidat Jean-François Lisée qui me sondait pour savoir s’il cartonnait après sa performance à TLMEP. Je l’ai déçu, les chicanes du PQ, même quand ils essaient d’être d’accord et de ratisser large, me laissent aussi indifférente que le divorce de PKP. Lisée devrait lire Le Code Québec. En cela, Jean-Marc Léger nous rappelle qu’effectivement, les jeunes sont peu enclins au nationalisme ceinture fléchée. J’ai quand même conservé celle que ma grand-mère m’avait tissée.
 
Je suis une patrimonieuse finie, ça aussi, ça ne concorde pas avec le portrait du Québécois lambda (77 % qui respectent les traditions contre 91 % dans le ROC). Et je ne me sens pas « détachée », un des sept traits de caractère relevés par les sondages de M. Léger. Je ne m’identifie pas non plus au portrait du « grand parleur, p’tit faiseur ». S’il y a une chose que mon entourage me reconnaît (et subit parfois), c’est ma cohérence. Pas la cardiaque, l’autre !
 
Les bottines suivent les babines, comme on dit chez vous. Cela explique pourquoi je suis végé depuis six ans et que je vote pour des politiciens qui pensent moins nation que planète (Justin, where the F word are you now ? It’s 2016 ! Traduction disponible sur Google translate.)
 
Mais une des données les plus difficiles à gober dans ce sondage provincial, dont la méthodologie m’échappe car j’ai abandonné mon cours de statistiques au cégep, c’est le peu de Québécois francophones qui s’avouent bilingues. 45 % seulement. Ouch.
 
Nos problèmes d’insularité et notre ignorance des enjeux extérieurs en découlent forcément. L’entrepreneur ex-dragon Mitch Garber a raison : nous avons un sérieux enjeu de solitudes. Quant à la victimite aiguë, je passe, désolée. Ça ne me rejoint pas. Nous, les Nippons, sommes des samouraïs nés.
 
Fiers pets
 
Le chapitre qui m’a le plus surprise dans ce livre concerne la fierté, celle qu’on associe à l’esprit entrepreneurial. D’abord, je n’ai pas la fibre business pour deux sous. Si c’était le cas, j’aurais déjà écrit un livre de recettes, un roman érotique, et accepté l’offre d’amitié de Brad Pitt sur FB.
 
« Les Québécois sont des êtres fiers. Fiers de leur joie de vivre, fiers de leur ouverture, fiers de leur capacité d’adaptation, fiers de leurs racines, fiers de leur créativité et fiers de leurs réussites. Ils sont à la fois heureux, consensuels, détachés, victimes, villageois, créatifs et fiers. »
 
Le publicitaire Jacques Bouchard nous prévenait déjà de la perte de deux cordes sensibles dans sa remouture Les nouvelles cordes sensibles des Québécois, en 2006 : le complexe d’infériorité et l’étroitesse d’esprit.
 
Nous serions fiers de notre différence désormais. À la bonne heure. Je m’explique mal pourquoi j’entends toujours les mêmes experts, les mêmes vedettes consacrées, les mêmes voix, les mêmes références culturelles dans nos médias.
 
Nous, les Québécois, sommes fiers par procuration. Fiers du Cirque du Soleil, fiers du Bixi, fiers de Fred Pellerin (surtout quand il joualise à Paris), fiers du styliste de Céline, fiers de tout ce qui nous décomplexe de notre syndrome « Né pour un p’tit pain ».
 
Bravo, brava, j’applaudis même si je n’ai strictement rien à voir avec leur succès et n’en tire aucune gloire.
 
C’était jusqu’à ce que je lise une des dernières pages du livre, écrite par le professeur aux HEC Jacques Nantel, qui mentionne que nous sommes fiers de la poutine ! Je hurlais dans ma cuisine. « En passant, la compagnie Habitant, créée en 1918 sur la rue Saint-Dominique à Montréal par Joseph-Philias Morin, était déjà, lors de la publicité de 1984 — "Il y a un peu de nous autres là-dedans" —, propriété de la Brasserie Labatt. »
 
Phillias Morin est mon arrière-grand-père. Il a brassé sa première soupe aux pois dans un chaudron en aluminium que j’utilise toujours. Vous dire combien je suis fière d’être une Pea Soup !
 

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