Pourquoi la solitude au féminin est-elle suspecte?


Photo: Antonio Guillem Getty ImagesLa solitude des femmes interrogées par Julie Bosman se veut moins subie que paisiblement acceptée,
à quelques exceptions près

 
Entre littérature et documentaire, Julie Bosman recueille les témoignages de femmes pour qui la solitude n’est pas un fardeau, mais qui ne diraient pas non à un câlin.


Le titre, déjà, Nous sommes bien seules, porte toute la complexité émotive du projet. C’est qu’il y a autant, dans ce premier livre de Julie Bosman, de femmes vivant bien leur solitude que de celles qui ne refuseraient pas un peu de chaleur humaine. Les deux sentiments ne sont d’ailleurs pas mutuellement exclusifs.
 
« Il y a une dame après notre entretien qui m’a demandé : “Est-ce que tu peux me prendre dans tes bras ?” Elle me disait : “Quand ça me manque, des fois, je vais voir ma voisine pour qu’elle me donne un câlin” », se remémore celle qui s’est invitée dans l’intimité de quinze femmes, ayant toutes en commun de vivre seules, de coeur ou de corps, depuis longtemps.
 
Sans trop d’artifice, elle relaie leur parole dans une perspective mêlant documentaire et narration, inspirée par l’écrivaine biélorusse Svetlana Aleksievitch, dont « la collecte d’informations ressemble à du journalisme, mais dont la mise en forme a le pouvoir d’évocation de la littérature ».
Photo: Luc QuerryJulie Bosman
 
Elles ont entre 32 et 85 ans. Certaines ont perdu trop tôt leur amoureux aux mains de la maladie, d’autres n’ont embrassé que très tard leur homosexualité, après avoir eu mari et enfants. En voyant le regard que pose un garçon sur sa petite-fille, une grand-mère mesure à quel point elle n’a jamais elle-même été aussi intensément désirée.
 
Elles mènent des vies riches et, pourtant, leur solitude suscite la suspicion. Une femme peut-elle vraiment se passer d’un homme ? Voilà la question que personne n’ose leur poser explicitement, sans pour autant s’abstenir de l’évoquer de biais.
 
Solitude sereine
 
« J’ai longtemps observé ma mère, qui n’a pas eu, à ce que je sache, d’homme dans sa vie après son divorce, avec des yeux curieux. Dans la vingtaine, alors que je rêvais de trouver un compagnon, de fonder une famille, sa solitude me déstabilisait. Parce que c’est ce qu’on valorise socialement : la vie de couple, la sexualité. On nous dit partout qu’il faut préserver la flamme, ne pas cesser d’espérer l’amour », rappelle la journaliste de 46 ans qui, à la délicate question du célibat au féminin, propose à la fois une défense de la solitude vécue de façon sereine et un éloge du contact humain, sans doute indissociable d’un certain bonheur. D’où ce ton toujours doux-amer traversant tous les textes.
Ces femmes-là développent un réseau d'amitiés solides, enrichissantes, elles sont actives. Elles sont seules de compagnon, mais pas réellement seules. 
Julie Bosman, auteure
« Ma vision s’est transformée avec la vie, mais aussi avec ces rencontres, poursuit-elle. Le préjugé qui veut que ça doit être donc dur de ne plus avoir d’affection physique, de contact physique, se vérifie jusqu’à un certain point, mais il y a aussi autre chose qui se place. Ce n’est pas tout dans la vie. Ces femmes-là développent un réseau d’amitiés solides, enrichissantes, elles sont actives. Elles sont seules de compagnon, mais pas réellement seules. »
 
Leur solitude se veut donc moins subie que paisiblement acceptée, à quelques exceptions près, dont celle de cette femme qui « porte le prénom d’une fleur » mais qui n’est « pas de celles qu’on regarde pour leur beauté. » Entre le monde et elle se dresse sa laideur, comme un obstacle auquel elle est constamment renvoyée. « C’est le témoignage qui m’a le plus bouleversé, parce que l’apparence physique, c’est au fond profondément injuste, regrette Julie. Moi, malgré mes complexes et mes insécurités, j’avance, parce que j’ai le luxe de pouvoir échapper au regard des autres, alors que c’est impossible pour elle. »
 
Parler avec une inconnue
 
En racontant les soins prodigués à un conjoint hypothéqué physiquement, ou une vie sexuelle entretenue avec des hommes mariés, les interviewées de Julie Bosman se sont révélées tout aussi généreusement qu’impudiquement à une pure inconnue, au cours d’un entretien de deux heures qui n’aurait pas de lendemain. C’est l’évidence : il y a de ces conversations qu’on ne peut avoir qu’avec une étrangère que l’on ne reverra peut-être jamais.
 
« Je leur disais toutes que j’irais avec mes questions jusqu’où elles me le permettraient, explique leur confidente d’un jour, mais bien des fois, elles allaient d’emblée vers les sujets plus indiscrets. Elles avaient un recul par rapport à leur trajectoire qui faisait que je recevais en deux heures un concentré de vie incroyable, avec des secrets qu’elles n’avaient jamais dits à personne. C’est rare après tout que tu aies l’occasion de parler à tes enfants de ta solitude, de ton intimité. »
 
Nous sommes bien seules trace en filigrane le portrait triste d’une génération de femmes ayant vécu dans la résignation des vies sexuelles tressées de relations consenties à l’homme parce qu’il le faut bien. Une injonction à la performance jadis entonnée par l’Église, et aujourd’hui reprise sur un ton différent par les magazines féminins. « Le discours ambiant nous renvoie sans cesse la notion de fréquence : combien de fois on devrait faire l’amour pour que notre compagnon soit heureux. Bien des femmes se sentaient obligées de se conformer à ça. Ce qui leur manque maintenant qu’elles sont seules, ce n’est pas tant la sexualité qu’une présence physique, dormir avec quelqu’un. »
 
Malgré l’amertume et les déceptions, les plus beaux textes de Julie Bosman laissent entendre que le temps apaise les plaies vives de la trahison et du doute. « Est-ce que mamie et papi sont des amoureux ? », demande un petit garçon de dix ans devant ses grands-parents qui dansent spontanément au son d’une vieille chanson nostalgie, plusieurs années après un pénible divorce. « Ce sont des femmes qui portent des blessures, mais des femmes qui se relèvent. »
Nous sommes bien seules
Julie Bosman, Leméac, Montréal, 2017, 104 pages

Source: Écrit par Dominic Tardif,
Collaborateur, Le Devoir

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